Good deeds are a sign of a pure heart. • Feat Kim Courntey

Depuis que j’ai perdu mon jumeau, j’évite avec précaution la compagnie humaine, préférant de loin la présence de Bobble qui ne m’abandonnera jamais. C’est mon ami et je suis son arbre, nous sommes inséparables et ce jusqu’à la mort. Je n’imaginerais pas ce que ce serait de le perdre, je ne veux même pas l’imaginer, sans lui, je n’ai vraiment aucun ami. Tous les jours après les cours, je l’emmène avec moi pour une petite balade au pré aux créatures magiques. J’adore tous les animaux qui s’y trouvent, après tout, nous ne sommes pas mieux qu’eux, nous sommes presque pire.

Je pourrais y rester pendant des heures, avec ces créatures nobles qui ne me jugent pas. Je reste assise là-bas à écrire sur tout ce que je vois et ce que j’observe, entourée d’un monde bien différent de celui de l’école mais tout aussi magique, même plus. Je ne cesse de m’émerveiller, c’est l’un des seuls endroits où, isolée, j’arrive à retrouver mon sourire et à me détendre. J’abandonne ma rancœur, mon caractère froid et solitaire et je m’entoure des amis les plus sincères, les plus fidèles.

C’est alors qu’un cri inhabituel retentit dans le pré, nous faisant sursauter, moi et Bobble. Je me lève, sautant littéralement sur mes deux pieds en me demandant ce qui a pu faire un tel bruit. Celui-ci se reproduisant, je me dirige d’un pas pressé vers sa source, mon botruc sur mon épaule et mon carnet serré contre moi. J’avais vu beaucoup d’animaux ici mais je n’avais jamais vu de corbeau. Celui-là battait de l’aile, l’autre étant dans un visible sale état, et il appelait au secours dans des croassements à me déchirer le cœur. Je ne pouvais pas le laisser comme ça, c’était évident qu’il avait fait une mauvaise chute et son aile semblait le faire souffrir.

Cette trouvaille remonte à déjà deux jours, deux jours où j’ai pris le temps de bander l’aile du corbeau et le laisser se reposer dans ma chambre puisqu’il n’est pas capable de voler. Je prends soin de lui-même si ce n’est que provisoire. Je ne sais pas si cet oiseau majestueux à un maître ou s’il est libre et qu’il a atterri par hasard dans le pré mais j’ai déjà Bobble, je ne pourrais pas m’occuper de deux animaux. C’est pourquoi tous les jours, encore plus régulièrement, je rejoins le pré et passe du temps avec Bobble et le corbeau. Peut-être que son maître viendra le récupérer, peut-être qu’il finira par guérir et prendra son envol vers je-ne-sais-où. En attendant ces possibilités, je profite du temps que je passe avec un nouvel ami que Bobble semble également apprécier.

Mais les rares moments où je m’amuse sont toujours trop courts et quand l’heure de rentrer sonne, je suis toujours déçue. Je quitte mon petit coin de paradis pour rejoindre le monde des humains, le corbeau perché sur mon épaule et Bobble confortablement coincé dans la poche avant de ma veste. Concentrée sur la relecture de ce que j’ai écrit aujourd’hui dans mon carnet, je ne remarque pas la demoiselle qui me rentre dedans précipitamment. Je perds l’équilibre une seconde, provoquant les protestations de l’animal blessé, mais parviens à rester debout. Je regarde la jeune femme devant moi et fronce les sourcils alors que ma bonté disparaît déjà petit à petit.

-Fais attention, tu aurais pu blesser mon botruc…

Je ne m’inquiète pas vraiment de la fille qui m’est rentrée dedans et préfère prendre mon Bobble entre mes mains pour vérifier qu’il n’a rien. L’inconnue semble gênée et elle s’en veut puisqu’elle s’excuse. Je lève une seconde les yeux pour remarquer son air déconfit et ses mains qui tremblent. Une simple bousculade l’aurait mise dans un tel état ? J’ai du mal à y croire mais je ne m’y attarde pas puisque je baisse à nouveau le regard vers mon Botruc. Celui-ci râle mais n’a rien et ça me rassure, je ne pardonnerais personne qui ose blesser mon meilleur ami. Un peu plus détendue maintenant que je suis fixée sur l’état de santé de Bobble, j’invite celui-ci à se ré-installer dans ma poche. Enfin, je lève mes yeux vers la névrosée qui ne s’est toujours pas calmée.

-Ce n’est rien, tu as de la chance, Bobble n’a rien.

Le corbeau perché sur mon épaule se fit entendre à nouveau et attire cette fois le regard de l’inconnue. Son expression change du tout au tout et ses yeux se remplissent de larmes. Je suis surprise alors qu’un nom franchit ses lèvres, serait-ce le nom de l’animal posé sur mon épaule ? La jeune fille est émue, une larme roule sur sa joue et elle tend les bras vers l’oiseau avant de stopper son geste. Elle bafouille et s’incline alors en tentant de me remercier. Je fais descendre le corbeau de mon épaule pour qu’il puisse rejoindre sa maîtresse.

-Je désespérais de retrouver son maître ! Je l’ai trouvé dans les prés, il était blessé… C’est pour ça que tu étais dans tous tes états en me rentrant dedans ?

Je ne m’attendais pas à ce que le hasard réunisse le corbeau et sa maîtresse, c’était presqu’improbable qu’en rentrant dans une inconnue, je retrouve la personne que je cherchais. Je suis soulagée, l’animal posé sur mon épaule allait finalement rejoindre celle qui lui avait sans aucun doute beaucoup manqué. Je ne prends pas longtemps avant de faire descendre le prénommé « Zhen » de mon épaule pour le rendre à la jeune femme et je sais que la jeune femme n’est pas la seule soulagée par ces retrouvailles. Il me suffit de baisser les yeux vers Bobble pour confirmer mes pensées, sa jalousie m’a marqué pendant ces deux derniers jours à chaque fois que je soignais le corbeau. Évidemment, il n’aime pas me partager avec un autre animal et même s’il devrait savoir que jamais rien ne saurait le remplacer, le fait que je m’occupe d’un autre que lui ne lui plaisait pas.

Quand certains maîtres ne font que protéger leurs animaux, pour moi, c’est plutôt le contraire. J’ai trouvé mon Botruc alors qu’il s’était déjà vengé sur ceux qui avaient coupé son arbre et j’ai mis beaucoup de temps à calmer la douleur de la perte qu’il avait subie. Je l’ai longtemps nourri de cloportes avant qu’il ne choisisse de trouver un nouvel arbre à protéger et cet « arbre », c’est moi. Je ne me fais pas d’illusions : il prend bien plus soin de moi que moi de lui et en le rencontrant j’ai bien compris que nous les humains étions loin d’être supérieurs aux créatures magiques.

L’inconnue m’explique que le corbeau a disparu plusieurs jours et je comprends que si elle est venue jusqu’ici, c’est dans l’espoir qu’elle retrouve Zhen auprès du prof de soin aux créatures. Au final, elle a bien fait d’avoir cette idée puisqu’elle a récupéré son animal. Elle ne cesse de buter sur ses mots et je me demande si c’est par nervosité ou simplement un bégayement constant. Je lui fais un petit sourire et hoche la tête avant de sortir des bandages et une pommade de ma poche.

-Je crois que Bobble ne t’en veut pas trop !, soufflais-je malgré la moue du Botruc puis je lui tends le matériel de soin, -Tiens, c’est avec ça que j’ai soigné l’aile de Zhen, si tu lui mets encore de la pommade pendant quelques jours et qu’il se ménage, il recommencera à voler très vite !

Je fais toujours comme si rien ne m’intéresse. Que ce soit les cours ou les différentes personnes qui me côtoient, je prends toujours mes précautions pour sembler impassible et fermée, comme si rien ne me touchait. Il n’y a que mon jumeau qui pourrait me libérer dans cette cage dans laquelle je m’obstine à rester. Parce qu’au fond de moi, je suis comme tout le monde : j’ai des passions et des centres d’intérêts qui font briller mes yeux, je refuse simplement de laisser les autres le remarquer. Face à cette inconnue, je me retrouvais comme démasquée. Les créatures magiques et autres animaux m’intéressent car ils ont la capacité d’éprouver des tas de sentiments sans même avoir à parler pour nous les communiquer. Ils sont mystérieux et cachent leurs faiblesses derrière une fierté animale qui m’attire. Leurs capacités, leurs caractéristiques, leurs craintes,… J’essaye de tout savoir sur eux et ça me permet de tisser un lien spécial avec eux, comme avec Bobble par exemple.

J’aurais certes pu devenir une spécialiste des créatures magiques mais je ne voulais pas me limiter à ça. Je voulais en faire plus et mêler mes intérêts à une chose que je sais très bien faire : écrire. Faire découvrir aux autres à quel point les créatures magiques sont plus que de simples compagnons est comme un but pour moi. C’est pour cette raison précise, en plus d’un autre centre d’intérêt qui n’est pas du tout au sujet du jour, que j’ai décidé de me spécialiser dans le journalisme –tout en suivant des cours sur les sujets qui sont les thèmes de mes articles.

C’est donc tout naturellement que je tends une petite trousse de soin à la jeune femme. C’est une base de savoir s’occuper d’un animal quand notre but est de les aider et de les soutenir. J’ai ainsi un bon nombre de matériel qui me permet de leur venir en aide s’ils se retrouvent blesser, exactement comme Zhen. Elle me demande combien de fois elle doit mettre la pommade sur la blessure de son corbeau et je souris un peu, elle ne doit vraiment pas si connaître mais c’est normal. Quand un animal de compagnie est blessé, son maître ira toujours voir un spécialiste pour le soigner. De mon côté, j’ai toujours préféré me débrouiller seule.

-Le matin et le soir, en changeant le bandage !, elle me demande alors si c’est la mienne et j’esquisse un très léger sourire, Oui mais ne t’en fais pas, tu peux la garder. J’en ai d’autres et ton corbeau en a plus besoin que moi.

Je ne sais pas quoi dire d’autre. Spécialiste des animaux, je n’y connais rien avec les humains et me retrouve toujours mal à l’aise quand j’ai une conversation s’essoufflant avec l’un d’entre eux. Je toussote simplement et essaye de continuer de sourire.

-Bon et bien, je vais te laisser. Prends bien soin de ton corbeau.

Ça paraît stupide mais ma seule tactique dans ce genre de moments gênants : c’est la fuite.