porte fermée, coeurs ouverts - yoon ji

Allongée dans ton lit, tu ne parviens pas à trouver le sommeil. Ce n’est pas la première fois que tu fais des insomnies, oh que non, mais c’était de plus en plus fréquent et tu refusais d’avoir recours à des potions pour trouver un sommeil artificiel. Tournant et tournant encore entre tes draps, tu pousses un profond soupir. Tes camarades de chambrée dorment à poings fermés, elles, et tu les envies. Elle n’ont probablement pas autant de choses à l’esprit que toi en ce moment. Repoussant tes couvertures, tu finis par te recroqueviller sur toi-même, le menton posé sur tes genoux serrés contre ta poitrine. Ce soir non plus tu ne dormiras pas, semblerait-il.

Quand entendre les ronflements de tes camarades eut fini d'épuiser ta patience, tu mis les pieds sur le sol froid de la chambre. Tu enfiles des vêtements chauds et confortables par-dessus ta nuisette, prête à aller déambuler dans les couloirs plongés dans l’obscurité. Au moins ça fera passer le temps, et tu connais Poudlard comme ta poche. Laissant ta baguette sur ta table de chevet, tu t’empares d’une simple chandelle enchantée, censée ne pas s’éteindre sans le sortilège adéquat, et tu quittes la chambre sur la pointe des pieds. Tu aurais pu marcher avec la démarche légère d’un camionneur, ça n’aurait pas réveillé les autres, mais tu te plais à te dire que tu es bien élevée et que tu ferais tout pour épargner le bienheureux sommeil des autres. Ce à quoi ton côté Serpentard répond que tu es une idiote.

Ta chandelle à la main, tu déambules dans les couloirs, tes doigts effleurant la pierre froide. Tu salues d’un hochement de tête certains tableaux, ceux qui sont encore éveillés. Certains marmonnent que tu es un enfant indisciplinée, que tu devrais aller te recoucher avant qu’ils n’aillent alerter les professeurs qu’une élève est encore debout malgré le couvre-feu, mais tu sais que ce n’est que du vent : trop paresseux, trop bien installés dans leurs lits en 2D, ils ne bougeront pas leurs fesses tant que tu ne leur projette pas de la cire sur le face. Dommage, certains auraient bien besoin d’une petite épilation faciale. Les autres, habitués de tes promenades nocturnes, te font de petits signes de la main. L’un deux te signale qu’un prof fait sa ronde dans le couloir suivant, et tu bifurques silencieusement dans un autre couloir, non sans l’avoir remercié d’un pouce en l’air.

Tu marches, sans réellement prêter attention à ta destination. Tu grimpes des volées d’escaliers, en descend d’autres, et tu finis par errer aux alentours du sixième étage. Des cachots au sixième, c’est une sacrée trotte, il faut le dire… c’est le secret de ta ligne, de ton ventre plat, toutes ces promenades nocturnes.
Non, d’accord, ça, personne n’y croira.

Ton regard est attiré par une porte ouverte, par laquelle s’échappe un vent frais. Qui donc a laissé la porte de la tour d’astronomie ouverte ? Y a-t-il quelqu’un là-haut ? Curieuse, tu ouvres un peu plus la porte pour te faufiler, sans faire attention à la baguette qui tenait la porte ouverte. Quand celle-ci se referme dans ton dos avec un claquement sec, tu ne t’inquiètes pas outre mesure. Une porte, c’est censé pouvoir s’ouvrir dans les deux sens, non ?

Arrivée en haut, à l’air livre, le vent te fouette le visage et ta chandelle s’éteint, ce qui te fait pester. Chandelle enchantée, mon cul ! Un coup de vent n’aurait pas dû la faire s’éteindre. Frustrée tu laisses tomber la bougie au sol : tu ne t’encombres pas de matériel défectueux. Jamais. Tu fais quelques pas sur la plateforme, avant de repérer une silhouette éclairée par les étoiles, non loin.
Ton sang se glace dans tes veines. L’autre est appuyé contre la rambarde, dans une position plus que claire. Il va sauter. « NON ! » Sans réfléchir plus loin, tu te précipites vers l’inconnu, et tes bras s’enroulent autour de sa taille alors que tu l’éloignes du bord. Pendant un moment, vous restez ainsi, tes bras passés autour de lui, son dos plaqué contre ton torse. Puis, comme si tu étais brûlée, tu le repousses un peu plus loin, t'interposant entre lui et le vide. « Mais à quoi tu penses, enfoiré ? Si tu veux te foutre en l’air, fais pas ça à Poudlard. On a d’autres trucs à faire qu’assister à l’enterrement d’un plouc qui a pas les idées claires. » Tu es soulagée que l’obscurité masque tes traits, et tu espères que l’autre ne reconnaîtra pas ta voix. Tu es réputée pour ton manque d’émotions, ton visage impassible et froid… tu ne voudrais pas tout gâcher, pas maintenant. Pas comme ça, pour un moins que rien qui se disait que sauter du haut de la tour d’astronomie serait une bonne fin.

Tu n’as pas encore reconnu Eun Jae. Après tout, comment aurais-tu pu ? Cela fait quoi… sept ans, maintenant ? Sept ans qu’elle t’a tourné le dos, que tu ne la croises qu’aux cours, quand tu la coinces pour jouer ton rôle de méchante Serpentarde, aux repas dans la Grande Salle ou au détour d’un couloir, quand elle galoche son copain du moment. Sept ans que tu étudies son visage et ses expression du coin de l’œil, en faisant semblant de ne rien ressentir du tout. « Allez, ouste, dégage d’ici. » Tu veux profiter de la vue, un peu. Et être seule. T’as pas besoin d’un suicidaire dans les parages.

Ton coeur cogne furieusement dans ta poitrine alors que tu relâches avec une certaine indélicatesse le corps que tu as arraché à la rambarde. Tu as eu peur, c’est vrai. Peur de voir ce corps basculer sans pouvoir rien n’y faire.

Tu t’énerves, tu laisses ta frustration et ta colère prendre le dessus, se tourner contre cette pauvre âme qui n’a rien demandé. C’est nul comme comportement, mais tu t’en bats les ovaires, et ce, royalement. Tu es une Serpentard, après tout. Une Serpentard dans toute sa splendeur. Fille de bonne famille, fille au sang pur, on s’attend naturellement à ce que tu piétines les autres. Alors tu le fais, sans y penser à deux fois, parce que c’est plus facile d’agir comme tout le monde s’attend de vous voir agir, plutôt que de tenter d’inverser la tendance.

Puis une petite voix retentit dans le noir, et tu t’interromps au beau milieu de ta phrase. Tes épaules s’affaissent, un soupir agacé s’échappe de tes lèvres. Cette voix. Celle d’Eun Jae. Tu la reconnaîtrais entre mille, les yeux fermés. Évidemment. Sur toute la populace qu’abrite le château, il fallait que tu tombes sur Eun Jae. Merlin, Morgane, mais que leur as-tu fais pour mériter ça, exactement ? Mais avant que tu aies pu en placer une, elle se précipite vers la porte, qui s’est refermée, et tu ne comprends pas sa panique. « Quoi, la porte ? » Mais tu comprends vite où se situe le problème quand la Gryffondor s’échine à ouvrir ce maudit battant de bois de toutes les manières possibles, sans que ça ne bouge d’un millimètre.
Ah. Vous êtes coincées, c’est ça ?

Il te faut quelques secondes avant que l’info prenne place. Vous êtes coincées. En haut de la tour d’Astronomie. Probablement pour toute la nuit, avec une belle punition à la clef quand on vous découvrira demain matin. Toi. Avec Eun Jae.
Merlin, Morgane, allez vous faire mettre. Cordialement.

« Nan, je l’ai pas. » Puisque tu te baladais avec une chandelle censée ne pas s’éteindre au premier coup de vent, tu avais estimé que prendre ta baguette n’était pas utile. « Coincer la porte avec sa baguette, c’est bien un réflexe de Moldue, ça, tu lances avec acidité. Alohomora, ça ne te dis rien, hmm ? » La base de la base, bon sang !

Agacée, tu te laisses tomber sur la pierre froide, resserrant les pans de ton gros gilet en laine autour de toi. Adoptant une attitude nonchalante, tu relèves la tête vers Eun Jae. Qui est subitement beaucoup plus proche de toi. Beaucoup trop proche de toi, aussi. « Wow, recule, t’empiète sur mon espace vital là. » Tu pourrais être un peu plus agréable envers elle, surtout que c’est partiellement de ta faute si vous êtes coincées ici.
Non mais vraiment, qui utilise sa baguette comme cale-porte ? Qui ?!

« Je me souviens que, dans une autre vie, tu avais peur du noir. » ce n’est pas une question, c’est une affirmation. Dans une autre vie, quand vous étiez encore amies, quand vous n’aviez pas encore mis les pieds à Poudlard, pas glissé votre tête blonde sous le Choixpeau, elle t’avait confessé sa peur du noir. Tu n’en avais jamais ri. Tu n’avais jamais pensé à en rire. Mais aujourd’hui, vous n’êtes plus amies, n’est-ce pas ?
Entre des doigts, tu fais tourner la chandelle enchantée, que tu as récupérées en t’asseyant. La pierre est froide sous tes fesses mais au moins tu as un peu abritée du vent, le dos collé au muret de pierre.